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Essay

Préliminaires:
pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire

by Guy-Ernest Debord


II. — LA POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE ET LA CULTURE

1. — Le mouvement révolutionnaire ne peut être rien de moins que la lutte du prolétariat pour la domination effective, et la transformation délibérée, de tous les aspects de la vie sociale et d’abord pour la gestion de la production et la direction du travail par les travailleurs décidant directement de tout. Un tel changement implique, immédiatement, la transformation radicale de la nature du travail, et la constitution d’une technologie nouvelle tendant à assurer la domination des ouvriers sur les machines.

Il s’agit d’un véritable renversement de signe du travail qui entraînera nombre de conséquences, dont la principale est sans doute le déplacement du centre d’intérêt de la vie, depuis les loisirs passifs jusqu’à l’activité productive du type nouveau. Ceci ne signifie pas que, du jour au lendemain, toutes les activités productives deviendront en elles-mêmes passionnantes. Mais travailler à les rendre passionnantes, par une reconversion générale et permanente des buts aussi bien que des moyens du travail industriel, sera en tout cas la passion minimum d’une société libre.

Toutes les activités tendront à fondre en un cours unique, mais infiniment diversifié, l’existence jusqu’alors séparée entre les loisirs et le travail. La production et la consommation s’annuleront dans l’usage créatif des biens de la société.

2. — Un tel programme ne propose aux hommes aucune autre raison de vivre que la construction par eux-mêmes de leur propre vie. Cela suppose, non seulement que les hommes soient objectivement libérés des besoins réels (faim, etc.), mais surtout qu’ils commencent à projeter devant eux des désirs — au lieu des compensations actuelles —; qu’ils refusent toutes les conduites dictées par d’autres pour réinventer toujours leur accomplissement unique ; qu’ils ne considèrent plus que la vie est le maintien d’un certain équilibre, mais qu’ils prétendent à un enrichissement sans limite de leurs actes.

3. — La base de telles revendications aujourd’hui n’est pas une utopie quelconque. C’est d’abord la lutte du prolétariat, à tous les niveaux ; et toutes les formes de refus explicite ou d’indifférence profonde que doit combattre en permanence, par tous les moyens, l’instable société dominante. C‘est aussi la leçon de l’échec essentiel de toutes les tentatives de changements moins radicaux. C’est enfin l’exigence qui se fait jour dans certains comportements extrêmes de la jeunesse (dont le dressage s’avère moins efficace) et de quelques milieux d’artistes, maintenant.

Mais cette base contient aussi l’utopie, comme invention et expérimentation de solutions aux problèmes actuels sans qu’on se préoccupe de savoir si les conditions de leur réalisation sont immédiatement données (il faut noter que la science moderne fait d’ores et déjà un usage central de cette expérimentation utopique). Cette utopie momentanée, historique, est légitime et elle est nécessaire car c’est en elle que s’amorce la projection de désirs sans laquelle la vie libre serait vide de contenu. Elle est inséparable de la nécessité de dissoudre la présente idéologie de la vie quotidienne, donc les liens de l’oppression quotidienne, pour que la classe révolutionnaire découvre, d’un regard désabusé, les usages existants et les libertés possibles.

La pratique de l’utopie ne peut cependant avoir de sens que si elle est reliée étroitement à la pratique de la lutte révolutionnaire. Celle-ci, à son tour, ne peut se passer d’une telle utopie sous peine de stérilité. Les chercheurs d’une culture expérimentale ne peuvent espérer la réaliser sans le triomphe du mouvement révolutionnaire, qui ne pourra lui-même instaurer des conditions révolutionnaires authentiques sans reprendre les efforts de l’avant-garde culturelle pour la critique de la vie quotidienne et sa reconstruction libre.

4. — La politique révolutionnaire a donc pour contenu la totalité des problèmes de la société. Elle a pour forme une pratique expérimentale de la vie libre à travers la lutte organisée contre l’ordre capitaliste. Le mouvement révolutionnaire doit ainsi devenir lui-même un mouvement expérimental. Dès à présent, là où il existe, il doit développer et résoudre aussi profondément que possible les problèmes d’une micro-société révolutionnaire. Cette politique complète culmine dans le moment de l’action révolutionnaire, quand les masses interviennent brusquement pour faire l’histoire, et découvrent aussi leur action comme expérience directe et comme fête. Elles entreprennent alors une construction consciente et collective de la vie quotidienne qui, un jour, ne sera plus arrêtée par rien.

Le 20 juillet 1960

 

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