Un an après son suicide, Guy Debord gravite sur Internet |
Published in InfoMatin 2000 |
Le 30 novembre 1994, Guy Debord se tirait une balle en plein coeur. On vit alors à la télévision des présentateurs un peu perdus annoncer la mort d'un personnage dont la plupart n'avaient jamais entendu parler. Les autres affichèrent une mine grave et respectueuse, attitude hautement comique ( voire masochiste ) envers un écrivain qui mit toute la force de son talent à dénoncer le pouvoir de nuisance des médias. VengeanceInondant les colonnes du Monde, Philippe Sollers se fit alors beaucoup de publicité sur le cadavre d'un homme qui avait organisé sa vie autour du secret. Plus récemment, Gérard Guéguan, coresponsable des éditions Champ libre entre 1972 et 1974, a publié un opus (1) largement oxydé par l'aigreur. Très en colère que de beaucoup plus jeunes que lui, en l'occurrence les Inrockuptibles, soulignent régulièrement ce que Debord apporte à leur génération, Gérard Guéguan tire à boulets rouges. «Mes ambitions sont d'une autre nature », écrit-il, tout gonflé de sa brouille « historique » avec Debord. Avec un lyrisme enflammé, il nous apprend qu'il a décidé finalement de remplacer « sur sa table de chevet » l'intégrale situationniste par les écrits du Che, reprochant à Guy Debord de ne pas avoir su choisir entre la dialectique et la kalachnikov. Faut-il lui rappeler que la prochaine commémoration de Mai 68 n'aura pas lieu avant trois ans ? ParaphrasePlus jeune (33 ans), mais tout aussi rigide, un jeune philosophe allemand, Anselm Jappe, publie une étude consacrée à la pensée de Guy Debord (2). Engoncé dans la déférence, il livre une indigeste paraphrase des théories situationnistes. Mais il faut souligner sa pertinence lorsqu'il rappelle la filiation intellectuelle entre le théoricien du spectacle et György Lukács, qui publia en 1923 Histoires et conscience de classe. Violemment antistalinien, ce marxiste hongrois y développait le concept de «fétichisme de la marchandise». Son texte, traduit en France en 1960, influença sans aucun doute profondément Guy Debord. CIAMais c'est sur Internet, le plus médiatique des médias, que la galaxie debordienne s'agite le plus. Un honorable correspondant de Baltimore (3) met à la disposition du village planétaire l'Intégrale situationniste. Depuis l'Italie, Luther Blissett envoie sur son e-mail un texte intitulé Guy Debord is really dead. «Guy The Bore (sic), écrit-il, n'a pas besoin d'être enterré au Panthéon des héros de la gauche italienne entre Berlinguer et Pajetta. [...] Le mot situationniste est devenu un passe-partout. [...] Un mot que les journalistes accolent désormais à tout mouvement artistique suffisamment " extrême et spectaculaire " pour être digéré par les masses. » Sur le Net circulent aussi des thèses paranoïaques. Un certain Len Bracken s'interroge avec le plus grand sérieux : « Debord a-t-il été assassiné ? Sa ferme isolée de Champot était très vulnérable à une attaque. ». Un mystérieux correspondant, qui signe « l'homme a l'attachécase », lui répond : « Méfiez-vous de la propagande de la CIA ; Debord a été vu vivant à Charleroi. » Il ne précise pas s'il partageait une mousse avec Arthur Rimbaud.
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Footnotes[1] Edition Cahier des saisons, 64 p., 49 F. [2] Guy Debord, d'Anselm Jappe. Editions Via Valeriano, 254 p., 110 F. [3] index.html
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