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La critique situationniste ou la praxis du dépassement de l’art

Published in La critique situationniste ou la praxis du dépassement de l’art Septembre 1998


Chapter 2 "L'experimentation d'une pratique artistique à contre-courant"

"Je reconnaissais, - sans craindre pour lui, - qu'il pouvait être un sérieux danger dans la société. - Il a peut-être des secrets pour changer la vie ? non, il ne fait qu'en chercher, me répliquais-je".

Arthur RIMBAUD, Une saison en enfer (Délires), 1873 (Paris, éd. Mille et une nuits, 1994 ; p.26).

A 1 - Abolir les frontières entre l'art et la vie

Comment briser la séparation entre art et vie ? Pour l'I.S., les temps de l'art sont révolus, l'objectif est de réaliser l'irréalisable : un art vivant, qui n'obéit à aucune norme esthétique, présent à tous les niveaux de la vie.

Les situationnistes s'engagent dans une construction de situations nouvelles dans la vie quotidienne, basée sur le jeu. L'urbanisme et l'environnement quotidien sont des cadres primordiaux à travailler pour bouleverser la "pauvreté" de la vie aliénée : la dérive, ballade spontanée dans la ville au hasard des plaisirs donnés par les rues et leur architecture, est la première expérience pratique vers cette remise en question. Le détournement des arts conventionnels par des moyens de dévalorisation ou de modification de sens, dans le but d'accélérer la décomposition de l'art et de la société, constitue la pratique la plus utilisée par les situationnistes, de la peinture détournée d'Asger Jorn aux bandes dessinées dont les bulles deviennent des lieux d'expression politique et révolutionnaire à la fin des années 1960, en passant bien sûr par le cinéma dont l'importance grandissante dans la culture contemporaine ne pouvait lui éviter les affres situationnistes. Ces thèmes seront développés un à un dans ce chapitre.

Pour l'I.S., l'art doit cesser d'être un rapport sur les sensations, pour devenir une organisation directe de sensations supérieures. Il y a là un lien étroit avec la transvaluation nietzschéenne, la volonté de puissance et d'épanouissement de Zarathoustra : "Vivre comme j'en ai envie ou ne pas vivre du tout"[1]. Pour les situationnistes, il s'agit de produire eux-mêmes, hors de toute convention commerciale et esthétique, hors de tout asservissement : la création au sens le plus libéré du terme. Les arts traditionnels, les "beaux-arts" et la littérature ont été usés à fond et sont devenus incapables d'aucune révélation. Pour Constant, ces arts sont liés à une attitude mystique et individualiste, ce qui les rend inutilisables pour l'I.S., qui se doit d'inventer de nouvelles techniques dans tous les domaines (visuels, oraux, psychologiques,...) et de les unir dans une même activité complexe, totale. La direction principale que prend l'I.S. dans ce but est celle du jeu, du plaisir ludique.

A 2 - Le Jeu, l'esthétique ludique de l'Internationale situationniste

Sans s'attacher à aucune norme esthétique, l'I.S. se montre, de par sa rupture avec l'aliénation de la vie quotidienne, possesseur d'une esthétique ludique tout à fait particulière et novatrice (à défaut d'"esthétique", on pourrait parler d'"éthique" ludique). Ne pas travailler, refuser tout patron et toute activité aliénante comme toute passivité et tout ennui, les situationnistes ont en commun cette volonté de vivre pleinement, sans la peur de l'illégalité et de la conspiration. Le manifeste de l'Internationale lettriste ne le cachait pas : "Plusieurs de nos camarades sont en prison pour vol, nous nous élevons contre les peines infligées à des personnes qui ont pris conscience qu'il ne fallait absolument pas travailler (...), les rapports humains doivent avoir la passion pour fondement, sinon la terreur"[2]. La révolution permanente situationniste, vécue au jour le jour, c'est d'abord le mépris des contraintes imposées par un pouvoir qui pour eux ne sera jamais légitime. C'est aussi l'anéantissement de la division entre le travail imposé et les loisirs passifs, la libération du jeu garantie dans son autonomie créative et la non-exploitation de l'homme par l'homme.

Le jeu situationniste se distingue par la conception classique du jeu par la négation radicale des caractères ludiques de compétition et par l'envie de ne plus considérer le jeu comme étant séparé de la vie quotidienne, comme un passe-temps du week-end, exception isolée et provisoire. Chez les situationnistes, le jeu n'en apparaît pas moins distinct d'un choix moral : la prise de parti pour ce qui assure la souveraineté du jeu et de la liberté.

Cette prise de parti n'est évidemment pas anodine, notre monde étant cerné par les lois et les interdits. Souvenons-nous qu'autrefois, l'Eglise brûlait les prétendus sorciers pour mieux réprimer les tendances ludiques et primitives, conservées dans les fêtes populaires. Ces fêtes sont aujourd'hui perverties par le spectacle de la consommation (elles n'existent plus que dans les fausses fêtes de Dax, de Bayonne et d'ailleurs, ou dans les pseudo-canarvals maîtrisés par la mairie et la police) et les activités artistiques et ludiques véritables sont classées dans la criminalité et se retrouvent inévitablement dans la semi-clandestinité. Refusant de se placer en spécialistes du jeu, d'entreprendre une doctrine théorique qui ne serait qu'une idéologie de plus, les situationnistes sont décidés à se donner les moyens d'expérimenter de nouveaux jeux rompant avec l'aliénation de la vie quotidienne, préparant les possibilités ludiques à venir. Dans cette perspective historique, les situationnistes n'agissent pas en dehors de l'éthique, de la question du sens de la vie et de la révolution : "Pareils à Marx qui a déduit une révolution de la science, nous déduisons une révolution de la fête... Une révolution sans fête n'est pas une révolution. Il n'y a pas de liberté artistique sans le pouvoir de la fête... Nous exigeons avec le plus grand sérieux les jeux"[3]. Il voient la conception la plus collective du jeu dans la création commune d'ambiances ludiques choisies : la construction de situations, qui fait d'eux des situationnistes.

B 1 - La construction de situations

"Nous vivons en enfants perdus nos aventures incomplètes"[4]. Ainsi se clôt la bande son du premier film de Guy Debord, dans sa période lettriste en 1952, Hurlements en faveur de Sade. Déjà, Debord annonce dans son film que "les arts futurs seront des bouleversements de situations ou rien"[5] tandis que la voix de Wolman explique qu'"une science de situations est à faire qui empruntera des éléments à la psychologie, aux statistiques, à l'urbanisme et à la morale. Ces éléments devront concourir à un but absolument nouveau : une création consciente de situations"[6].

Au départ, la construction de situations est l'idée centrale de l'I.S. : construction concrète d'ambiances momentanées de la vie transformées par une qualité passionnelle supérieure à ce que l'on attend d'ordinaire, les situationnistes entendent bouleverser les comportements quotidiens par cette pratique du changement volontaire et de l'inattendu.

La situation construite est définie dans le premier numéro d'internationale situationniste comme "moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l'organisation collective d'une ambiance unitaire et d'un jeu d'événements"[7]. Si la situation construite est forcément collective par sa préparation et son déroulement, si dans la période d'expérimentation des rôles peuvent être attribués pour une préparation plus effective de la situation, il ne faut pas croire qu'il s'agit là d'une continuation du théâtre, ni même de son remplacement. "Visiblement le principal domaine que [les situationnistes veulent] remplacer et accomplir est la poésie, qui s'est brûlée elle-même à l'avant-garde de notre temps, qui a complètement disparu"[8]. La situation construite est vue dans sa liaison avec la réalité comme une série d'ambiances multiples mêlées à la vie, les moments construits en "situations" sont considérés comme les moments de rupture avec la morosité de la vie quotidienne, les révolutions dans la vie quotidienne individuelle. "Fédérer les instants, les alléger de plaisir, en dégager la promesse de vie, c'est déjà apprendre à construire une "situation""[9]. Intégrée dans la perspective d'une reconstruction globale de la vie, la construction de situations comme construction d'une vie passionnante est l'oeuvre d'art à venir. Ainsi, la création en tant que résultat importe moins que le processus qui engendre l'oeuvre, que l'acte de créer.

La construction de situations intervenant dans l'espace et dans le temps, son rôle vis-à-vis de la psychogéographie et de la formation d'un urbanisme unitaire sera loin d'être négligeable. "Construisez vous-mêmes une petite situation sans avenir"[10] titrait un tract pré-situationniste sur les murs des quartiers de Paris considérés comme psychogéographiquement favorables par les lettristes, en 1955. Nous verrons un peu plus loin ce qu'il en est.

B 2 - La pratique du scandale

Debord a toujours présenté ses débuts dans la subversion culturelle et artistique au début des années 1950 avec les lettristes comme étant émaillés de petits scandales : proclamer l'achèvement de l'art, projeter de faire sauter la tour Eiffel, dire en pleine cathédrale que Dieu est mort, etc. La manière de vivre des lettristes radicaux, puis des situationnistes, est en elle-même un scandale. C'est là leur plus grande réussite. L'histoire de l'I.S. reste parsemée de scandales , dont les principaux sont ici répertoriés, depuis sa formation jusqu'à la fin de 1967 (la période de 1968 et plus étant en grande partie étudiée dans le chapitre IV).

A Bruxelles, lors de l'exposition universelle de 1958, une assemblée générale des critiques d'art internationaux se réunit, les situationnistes diffusent une adresse à cette assemblée (signée au nom de l'I.S. par Khatib, Korun, Platschek, Debord, Pinot-Gallizio et Jorn) ; ce tract évoque le monde de la décomposition dont les critiques d'art en question font partie intégrante, puis passe à l'attaque : "Disparaissez, critiques d'art, imbéciles partiels, incohérents et divisés ! c'est en vain que vous montez le spectacle d'une fausse rencontre. Vous n'avez rien en commun qu'un rôle à tenir ; vous avez à faire l'étalage dans ce marché, d'un des aspects du commerce occidental : votre bavardage confus et vide sur une culture décomposée (...). Dispersez-vous, morceaux de critiques d'art, critiques de fragments d'arts. C'est maintenant dans l'I.S. que s'organise l'activité artistique unitaire de l'avenir. Vous n'avez rien à dire"[11]. La quasi-totalité des critiques d'art invités ont connaissance du contenu du tract, grâce à divers moyens de diffusion entrepris par les situationnistes présents sur place. Les critiques d'art font alors appel à la police pour éviter le scandale, ce dernier a lieu malgré le silence relatif de la presse, et le belge Walter Korun se trouve sous le coup de poursuites judiciaires pour son activité dans cette manifestation.

Après l'offense envers les fameux critiques d'art, l'I.S. s'attaque indirectement au grand Art sacré. En juin 1958, un jeune peintre milanais, Nunzio Van Guglielmi, endommage très légèrement un tableau de Raphaël (Le Couronnement de la Vierge) en collant sur le verre qui le protégeait une pancarte manuscrite vantant la révolution et décriant le gouvernement clérical par deux slogans on ne peut plus simples. Il est aussitôt arrêté, déclaré fou et interné à l'asile de Milan sans aucune contestation extérieure. Seule l'I.S. réagit par un tract largement diffusé en Italie et à travers l'Europe : "Nous voulons attirer l'attention sur le fait que l'on interprète un geste hostile à l'Eglise et aux valeurs culturelles mortes des musées comme une preuve suffisante de folie. Nous soulignons le péril que constitue un tel précédent pour tous les hommes libres et pour tout le développement culturel et artistique à venir. La liberté est d'abord dans la destruction des idoles"[12]. Le tract réclame la libération du jeune peintre... Celui-ci est libéré fin juillet, et accepte de se faire photographier à genoux et priant devant la Vierge de Raphaël, adorant d'un seul coup l'art et la religion qu'il avait malmenés précédemment. L'I.S. n'hésita pas à diffuser un second tract, déplorant ce subit et médiatique changement d'opinion.

Le scandale est plus politique encore quand dans l'ambiance de la guerre froide et dans l'équilibre de la terreur qui domine la politique mondiale du début des années 1960, les situationnistes vont mettre le doigt sur l'incroyable développement des abris antiatomiques durant cette période. D'abord avec un texte intitulé "Géopolitique de l'hibernation" publié dans internationale situationniste #7 en avril 1962, puis surtout avec une manifestation très singulière, organisée en juin 1963 au Danemark sous la direction de J.V. Martin. Dénonçant la survie planifiée des abris, comme résumé souterrain de l'urbanisme concentrationnaire qui s'étale en surface, et comme renforcement de la passivité générale, l'I.S. trouve le prétexte d'un nouveau scandale : la réédition clandestine du tract anglais "Danger ! Official secret - R.S.G.6" qui révèle le plan et la fonction de l'abri gouvernemental régional no.6 (R.S.G.6). Ce tract est diffusé massivement, dans un décor (aménagé dans une galerie d'art à Odense) consistant en la reconstitution d'un abri antiatomique, suivie dans une autre pièce par l'exposition de cartographies thermonucléaires exécutées par J.V. Martin (détournement du pop-art, esquissant une représentation de plusieurs régions du globe à différentes heures d'une hypothétique troisième guerre mondiale) et d'anti-tableaux faits de détournement de soldats de plomb, de plâtre et de cheveux, par Michèle Bernstein. Une brochure trilingue (danois-français-anglais) y est distribuée, dans laquelle se trouvent les reproductions des oeuvres exposées et un texte de Guy Debord intitulé "Les situationnistes et les nouvelles formes d'action dans la politique ou l'art". Ce texte évoque l'unification de l'art et de la politique, leur dépassement...

Le scandale s'explique à différents niveaux : dans l'ambiance atypique du lieu (assimilable à la situation construite), dans les révélations politiques que la manifestation représente, dans l'exposition anti-artistique qui sera qualifiée par la presse spécialisée de nouvel art dégénéré, et dans le texte de Debord qui ambitionne le dépassement de l'art dans la révolution quotidienne et sociale.

D'autres scandales éclateront dans les années suivantes, à commencer par celui de l'Université de Strasbourg en 1966, où l'agitation situationniste et la brochure De la misère en milieu étudiant... marqueront les prémices du grand mouvement social de mai 1968 (cf. chapitre IV).

 

Chapter 2 "L'experimentation d'une pratique artistique à contre-courant"

C 1 - Psychogéographie et urbanisme unitaire

Dès 1954, des membres de l'Internationale lettriste et du M.I.B.I. se trouvent des points communs dans leur vision d'un urbanisme nouveau. Notamment à travers deux moyens : la psychogéographie, "étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus"[13], et l'urbanisme unitaire, "théorie de l'emploi d'ensemble des arts et techniques concourant à la construction intégrale d'un milieu en liaison dynamique avec des expériences de comportement"[14].

La psychogéographie se présente comme une réflexion critique proche de la sociologie et de la psychologie, c'est elle qui peut permettre l'aboutissement à un urbanisme unitaire. Proposé en 1953 par un kabyle illettré pour désigner l'observation de certains processus du hasard et du prévisible dans les rues, le mot "psychogéographie" naît un été durant lequel les jeunes lettristes inaugurent leurs questionnements quant à l'ensemble des phénomènes qui commencent à les inspirer. Questionnements qui mènent Debord à "constater" en 1955 que le quartier qui s'étend, à Paris, de la place de la Contrescarpe à la rue de l'Arbalète, est propice à l'athéisme, l'oubli et la désorientation des réflexes habituels... Ce quartier, au coeur du Vème arrondissement, sera le principal vivier des émeutes de mai 1968.

Depuis le Paris d'Haussmann, personne ne se faisait d'illusions au sujet des grands boulevards et du souci autoritaire de disposer d'espaces libres permettant la circulation rapide de troupes et l'emploi de l'artillerie contre les insurrections éventuelles (d'où l'intérêt des petites rues du Vème arrondissement pour les révoltés de mai 1968). Après l'analyse de la quantité croissante de voitures et de propagande publicitaire dans Paris, Debord poussera son expérience, durant la période transitoire du M.I.B.I. vers l'I.S., en illustrant une hypothèse de plaques tournantes psychogéographiques sur le centre de Paris, en découpant un plan de Paris et en rapprochant les quartiers par des flèches représentant les pentes qui relient spontanément les différentes unités d'ambiance (après une étude des tendances d'orientation à travers ces quartiers).

La psychogéographie est considérée très tôt comme un jeu, les situationnistes refusant le côté contraignant et rébarbatif des institutions sociologiques, psychologiques ou géographiques : la perspective psychogéographique est celle du déconditionnement et de la désaliénation, pas celle de l'étude universitaire et/ou spécialisée.

Dans un essai de description psychogéographique des Halles (publié dans internationale situationniste #2, avant la démolition de ce quartier de Paris), Abdelhafid Khatib expose quelques-uns uns des moyens de recherche psychogéographique, parmi lesquels, mis à part les possibilités de lecture de vues aériennes et de plans, et l'étude de statistiques, de graphiques ou d'enquêtes sociologiques, on trouve la dérive expérimentale, dont on parle depuis le début des années 1950 et l'expérience lettriste. Cette pratique de la liberté de circulation sans destination précise joue un rôle important dans le développement de l'urbanisme unitaire.

A la fin du texte de Khatib, le projet lointain de transformer ce lieu de consommation, qu'étaient déjà les Halles, en parc d'attractions pour l'éducation ludique des travailleurs est évoqué, il n'en a rien été, le lieu a changé mais en se transformant en énorme galerie marchande, le secteur tertiaire devenant de plus en plus vaste. Ce haut lieu de l'aliénation spectaculaire reste à détruire.

Avant d'attirer l'attention sur l'aspect constructif qu'offre la psychogéographie, les situationnistes ont rapidement exposé leur sentiment d'urgence sur la nécessité de déblayer le terrain... Par exemple, Guy Debord se déclare partisan de la destruction totale des édifices religieux de toutes confessions, souhaite qu'il n'en reste aucune trace et qu'on utilise l'espace à des fins "athées". Les situationnistes s'accordent bien évidemment à repousser toute objection esthétique, y compris pour les prétendus chefs-d'oeuvre que peuvent être les cathédrales de Chartres, de Reims ou de Rouen (qui représentent des croyances et des événements historiques sordides, ainsi qu'un présent encore sous le signe du pouvoir et de "l'éternité"). "La beauté, quand elle n'est pas une promesse [authentique] de bonheur, doit être détruite"[15]. Dans la lignée de l'Internationale lettriste, que souhaiter d'autre que la suppression des cimetières et l'abolition des musées ?

Le bouleversement psychogéographique, c'est aussi le changement des noms de rue, notamment celui du local de l'I.S., rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, qui devient rue de la Montagne-Geneviève (il en est de même pour tous les boulevards, avenues, rues, etc., affublés du vocable "Saint").

La perspective de faire du milieu urbain un terrain de jeu véritable, comme dans l'essai de Khatib sur les Halles, se retrouve dans un projet de mars 1959 de démolition de la Bourse d'Amsterdam pour utiliser le terrain à des fins ludiques pour la population du quartier. Cet état d'esprit se retrouve à la fois dans les projets de l'urbanisme unitaire et dans la dérive. Etendant ce concept psychogéographique dans le chapitre sur "l'aménagement du territoire" de La Société du Spectacle, Guy Debord écrira en 1967 : "La révolution prolétarienne est cette critique de la géographie humaine à travers laquelle les individus et les communautés ont à construire les sites et les événements correspondant à l'appropriation, non plus seulement de leur travail, mais de leur histoire totale. Dans cet espace mouvant du jeu (...), l'autonomie du lieu peut se retrouver, sans réintroduire un rattachement exclusif au sol, et par-là ramener la réalité du voyage, et de la vie comprise comme un voyage ayant en lui-même tout son sens"[16]. Si les apports instructifs de la psycho-géographie sont nécessaires à la formation d'un urbanisme unitaire, c'est dans ce dernier, plus créatif et novateur, que l'esthétique ludique de l'I.S. peut se développer.

C'est en 1953 qu'Ivan Chtcheglov, lettriste interné dans une clinique psychiatrique peu après la formation de l'I.S., a jeté les bases théoriques d'un urbanisme nouveau dans un texte à fortes connotations poétiques (repris intégralement dans internationale situationniste #1). Développer un urbanisme nouveau, construire des situations par besoin de création absolue, activer la dérive continue, Chtcheglov évoque les futures préoccupations situationnistes en fustigeant une civilisation qui lui rendra bien ses sentiments : "Entre l'amour et le vide-ordures automatique, la jeunesse de tous les pays a fait son choix et préfère le vide-ordures. Un revirement complet de l'esprit est devenu indispensable, par la mise en lumière de désirs oubliés et la création de désirs entièrement nouveaux. Et par une propagande intensive en faveur de ces désirs"[17].

Fin 1958, le programme minimum de l'I.S. inclut l'expérience de décors complets devant s'étendre à un urbanisme unitaire non-séparable de la recherche de nouveaux comportements en relation avec ces décors. La solution aux problèmes d'habitation, de circulation, de récréation, inhérents à l'urbanisme, ne peut être envisagée qu'en rapport avec des perspectives sociales, psychologiques et artistiques concourant à une même question de synthèse : celle du style de vie. Les moyens entrepris par la pratique de l'urbanisme unitaire sont donc en rapport direct avec la fin recherchée : absence d'autorité (pouvoir imposé à autrui) et de toute considération esthétique (au sens usuel), développement d'une créativité collective et d'un esprit de création indépendant de toute norme.

Cette dynamique expérimentale sera développée par l'I.S. jusqu'en 1962, date jusqu'à laquelle l'urbanisme unitaire est considéré comme le pivot de la théorisation du dépassement de l'art : c'est au niveau de l'urbanisme que doit se réaliser l'art intégral. L'urbanisme unitaire ne se voulant pas doctrine de l'urbanisme mais critique de l'urbanisme, les situationnistes insistent à son propos sur le fait de ne pas séparer le théorique du pratique : cela permet de faire avancer la "construction" avec la pensée théorique, et surtout, de ne pas séparer l'emploi ludique direct de la ville, collectivement ressenti, de l'urbanisme comme construction.

En 1959, Constant se lance dans la confection des premières maquettes pour un urbanisme unitaire. Il expose une trentaine de "constructions spatiales" en mai au Stedelijk Museum d'Amsterdam. Ces constructions sont le fruit d'un développement expérimental prolongé sur plusieurs années, et ne font qu'ouvrir la voie vers la pratique de l'urbanisme unitaire. L'intérêt essentiel de l'exposition est de marquer le passage, à l'intérieur de la production artistique moderne, de l'objet-marchandise se suffisant à lui-même et dont la fonction est d'être uniquement contemplé, à l'objet-projet valorisé par l'action qu'il appelle à mener, action concernant la totalité de la vie et visant réellement l'art intégral. Pourtant, le contexte du musée et l'absence de réalisation concrètes, urbaines et extérieures, laissent un goût de frustration vis-à-vis de l'ambition que représente l'urbanisme unitaire (d'autant plus qu'à l'origine, une micro-dérive devait être organisée dans une partie du musée qui aurait été transformée en labyrinthe pour l'occasion, celle-ci ayant été annulée pour cause de désaccords avec la direction du musée). Constant persévère : "La création n'existe que dans nos perspectives"[18]. Pour lui, trois tâches sont à entreprendre dès à présent : 1) - La création d'ambiances favorables à la propagande de l'urbanisme unitaire, 2) - La réalisation d'un travail collectif, en formant des équipes et en proposant des projets réels, 3) - La création collective et la mise en oeuvre de ces projets, en considérant au mieux les contraintes d'organisation qu'ils présentent. Malgré son acharnement à faire de l'urbanisme unitaire l'élément central de l'I.S., Constant quitte l'I.S. face à son propre manque d'inspiration. Mais l'urbanisme unitaire reste un des points d'accroche de l'I.S., notamment grâce à son expression dans la dérive. On l'envisage dès lors en fusion avec une praxis révolutionnaire généralisée, contre la spécialisation de l'urbanisme d'Etat et contre le fait que la société bureaucratique de consommation s'impose partout par la planification urbaine et la décomposition de l'esthétique, par l'organisation de la circulation, par le conditionnement et l'isolement de la population. L'urbanisme unitaire se politise. Kotanyi et Vaneigem prennent le relais de Constant : "La principale réussite de l'actuelle planification des villes est de faire oublier la possibilité de ce que nous appelons l'urbanisme unitaire, c'est-à-dire la critique vivante, alimentée par toutes les tensions de la vie quotidienne, de cette manipulation des villes et de leurs habitants"[19]. Dans le même texte, l'évolution de l'I.S. est vue toutefois d'un oeil positif : "La destruction situationniste du conditionnement actuel est déjà, en même temps, la construction des situations. C'est la libération des énergies inépuisables contenues dans la vie quotidienne pétrifiée"[20].

En 1961, les situationnistes étudient la construction d'une ville expérimentale qui se présenterait comme une ville thérapeutique de jeu, ils en déduisent que l'urbanisme unitaire vise à libérer et à généraliser un instinct de construction qui est refoulé chez chacun d'entre nous. Mais les moyens de réalisation d'une telle ville expérimentale sont inexistants, le projet est trop vaste. Etant donné que l'urbanisme institutionnel a l'art de rassurer et d'aliéner les esprits, l'urbanisme unitaire se dirige vers un moyen simple de désaliénation éphémère auquel il a toujours été fidèle : la dérive.

C 2 - La dérive ou la poésie de l'instant présent

La dérive est un "mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine : [la] technique du passage hâtif à travers des ambiances variées"[21]. Elle désigne la durée d'un exercice continu de cette expérience pratiquée depuis 1953. La dérive a cet avantage de pouvoir se pratiquer hic et nunc, comme une simple promenade qui n'aurait pas de but ni de destination précise. Le principe étant de se laisser guider par son instinct, ses envies de découvertes psychogéographiques, au hasard de son déroulement. Elle peut s'effectuer seul ou à plusieurs, l'idéal est d'être à deux ou trois pour que chacun puisse avoir sa part active de décision et d'autonomie dans la dérive. "L'expérience situationniste étant en même temps moyen d'étude et jeu du milieu urbain, elle est sur le chemin de l'urbanisme unitaire"[22]. Comme l'écrit Chtcheglov en 1953 dans son "Formulaire pour un urbanisme nouveau", dans la réalisation complète de l'urbanisme unitaire, l'activité principale de la population doit être la dérive continue, le déplacement s'effectuant pour le plaisir et non plus par besoins utilitaires, sans destination précise et non plus par la course aux étapes préétablies (travail, courses ménagères, loisirs hebdomadaires, domicile, etc.). Le hasard et le temps de l'errance à profiter du paysage urbain constituent les points d'intérêt principaux dans le rôle joué par la dérive pour la psychogéographie et la recherche d'un comportement ludique constructif.

Les grandes villes, par la multitude de leurs petites rues, sont favorables à la dérive. Paris est Le lieu d'expérimentation de la dérive dès 1953, quand Guy Debord, Michèle Bernstein, Jean-Michel Mension et d'autres traînent dans la gare de Lyon pendant une grève de cheminots ; dans le hall de la gare, ils interpellent les voyageurs en l'attente de train, avec des réflexions contre le travail, puis en sortent sous la pression hostile de leurs auditeurs. Par la suite, ils font de l'auto-stop (la grève des chemins de fer, c'est bien connu, rendant les automobilistes plus aimables vis-à-vis des piétons désemparés...) et se dirigent au hasard des conducteurs bienfaisants qui ne font que suivre la routine de leur labeur. Arrivés en destination inconnue, ces jeunes lettristes poussaient leur oubli, leur évasion, dans l'alcool des bars locaux, pour se perdre définitivement et décider plus tard de retourner à Paris. Ce scénario se renouvelait régulièrement mais la dérive s'étend au fil des années, se précise théoriquement et se pratique différemment, de manière moins chaotique. Elle permet la connaissance et l'appréciation de différents quartiers de Paris, l'oubli et la réalisation éphémères de soi (dans la liberté du hasard subjectif), et l'on sait les conséquences positives que cela a pu apporter durant les événements de mai 1968.

La dérive, intégrée dans la vie quotidienne, sans limitation de temps ni d'espace, exprime ainsi la poésie du moment présent, dans une certaine mesure hors des contraintes sociales et de l'aliénation du "train-train quotidien".

 

Chapter 2 "L'experimentation d'une pratique artistique à contre-courant"

D - Théorie et pratique du détournement

Si dans leur période Cobra, Jorn et Constant s'adonnent à la peinture abstraite contre l'abstraction, avec de nombreuses toiles aux titres antimilitaristes éloquents (en 1950, Jorn peint notamment Le droit de l'Aigle et Le pacte des prédateurs, et en 1951, Constant peint Terre brûlée, Colombe blessée ou L'attaque aérienne), avec l'I.S. il n'est pas question d'exécuter des toiles "situationnistes" mais d'utiliser la peinture à des fins situationnistes. En 1958, Constant pense qu'"aucune peinture n'est défendable du point de vue situationniste"[23], les artistes doivent avoir pour tâche d'inventer de nouvelles techniques et de nouvelles pratiques (utilisation de la lumière, du son, du mouvement, de manière générale tout ce qui peut influencer les ambiances, les constructions de situations), ou d'accélérer la décomposition du monde artistico-culturel contemporain ajoute Jorn. Pour cela, il se lance dans la peinture détournée : muni d'une vingtaine de toiles de "peinture pompier", il les détourne par quelques coups de pinceaux et utilise leur exquis mauvais goût pour dénoncer la pseudo-démocratisation de l'art qui n'est en fait qu'un élargissement du fossé entre spécialistes-connaisseurs et grand public. A l'occasion d'une exposition de ces tableaux en mai 1959 à Paris, il publie un texte sur la peinture détournée, dont la première partie est destinée "au grand public [et] se lit sans effort : soyez modernes, collectionneurs, musées. Si vous avez des peintures anciennes, ne désespérez pas. Gardez vos souvenirs mais détournez-les pour qu'ils correspondent à votre époque. Pourquoi rejeter l'ancien si on peut le moderniser avec quelques traits de pinceaux ? ça jette de l'actualité sur votre vieille culture. Soyez à la page, et distingués du même coup. La peinture, c'est fini. Autant donner le coup de grâce. Détournez. Vive la peinture"[24]. Après avoir nettement fustigé les spécialistes, les tenants du monde de l'art, le texte ouvre sa seconde partie aux "connaisseurs", insiste sur la fonction d'objet des oeuvres d'art, sur la valorisation de celles-ci dans leur devenir : "Notre passé est plein de devenirs (...). Le détournement est un jeu dû à la capacité de dévalorisation. Celui qui est capable de dévaloriser peut seul créer de nouvelles valeurs. Et seulement là où il y a quelque chose à dévaloriser, c'est-à-dire d'une valeur déjà établie, on peut faire une dévalorisation"[25]. Le détournement se révèle ainsi comme la négation de l'expression artistique conventionnelle et de son jugement institutionnel. Il accompagne ce qui est considéré par l'I.S. comme le mouvement d'autodestruction du monde de l'art : la décomposition de la culture dominante.

Les peintures modifiées de Jorn sont loin d'être la seule expérience du détournement situationniste, dans la même période on compte les sculptures modifiées de Constant, les films de Debord, ainsi que Fin de Copenhague et les Mémoires de Jorn et Debord. Fin de Copenhague et Mémoires sont des brochures composées d'éléments préfabriqués : fragments de textes tirés de périodiques par Debord, gravures et dessins publicitaires, récupérés et assemblés par Jorn, le tout étant réuni et tacheté de drippings faisant allusion à l'expressionnisme abstrait, tout puissant à cette époque. La constitution de ces brochures n'est pas totalement guidée par le hasard, le geste d'appropriation que représente le détournement étant accentué par la présence des phrases publicitaires détournées : "tous les plaisirs de l'été (...) ; toute sa vie à parcourir le monde / indispensable et éblouissant de la jeunesse / qui se dessèche un peu plus chaque jour à portée de vos lèvres (...), ... et voilà votre vie transformée ! / les mots, même, prennent un sens nouveau"[26]. Fin de Copenhague exprime ainsi en pratique un des moyens annoncés par le détournement pour que les mots reprennent un sens nouveau, puisqu'ils ont déjà été déformés par une civilisation d'apparence et de passivité.

Une autre expérience de détournement de la fonction usuelle de la peinture artistique est le projet de peinture industrielle du situationniste italien Pinot-Gallizio ; le principe est de faire littéralement sortir la peinture de son cadre et d'ignorer toute idée de tableau, d'objet unique et exceptionnel, et d'abolir la valeur marchande de la production artistique. La peinture est dite industrielle parce que produite mécaniquement et massivement sur de longs rouleaux, par une machine créée dans le laboratoire expérimental du M.I.B.I., en Italie. En 1959, dans une galerie parisienne, les murs, le plafond et le sol sont entièrement recouverts avec 145 mètres de la peinture industrielle de Pinot-Gallizio. Malheureusement, le contexte de la galerie est difficilement modifiable, son côté formel et commercial évite toute possibilité d'extension vers une construction d'ambiance en rupture avec le monde de l'art (Pinot-Gallizio n'arrange rien en acceptant de vendre "sa" peinture au mètre). Un des objectifs de la peinture industrielle, à l'opposé de l'art appliqué, est pourtant d'être un art applicable dans la construction des ambiances (l'abolition du format, des thèmes métaphysiques, du peintre lui-même, mais pas l'abolition du vernissage et de la vente... dommage).

Le détournement, par les anti-tableaux de Michèle Bernstein, s'oriente plus radicalement vers la perspective de perte d'importance de chaque élément autonome détourné, dans l'organisation d'un nouvel ensemble signifiant. Ces anti-tableaux, intitulés Victoire de la Bande à Bonnot, Victoire de la Commune de Paris, Victoire de la Grande Jacquerie de 1358, Victoire des Républicains espagnols, Victoire des Conseils Ouvriers à Budapest, et bien d'autres victoires encore, sont constitués de plâtre modelé où s'incrustent des miniatures telles que des soldats de plomb, des voitures, des tanks, ainsi que des cheveux et autres simulacres de barbelés miniatures... Ces mises en scène refont l'histoire du mouvement révolutionnaire, figé artificiellement dans les défaites du passé. Le détournement est artistique et politique (il nous ramène dans un certain sens aux collages dadaïstes, notamment aux oeuvres pro-spartakistes, anticapitalistes puis antinazies de John Heartfield). Sérieuses plaisanteries, ces anti-tableaux ouvrent la voie à la spontanéité créatrice de tous (à commencer par les situationnistes eux-mêmes), le détournement se pratique à tous les niveaux au fil des années 1960 : "La créativité n'a pas de limite, le détournement n'a pas de fin"[27].

Dans internationale situationniste #1, le détournement est précisément décrit comme "intégration de productions actuelles ou passées des arts dans une construction supérieure du milieu. Dans ce sens, il ne peut y avoir de peinture ou de musique situationniste, mais un usage situationniste de ces moyens. Dans un sens plus primitif, le détournement à l'intérieur des sphères culturelles anciennes est une méthode de propagande qui témoigne de l'usure et de la perte d'importance de ces sphères"[28]. C'est cette seconde partie de la définition qu'offrent les possibilités du détournement qui va le plus souvent être pratiquée dès 1963. "Le détournement, qui a fait ses premières armes dans l'art, est maintenant devenu l'art du maniement de toutes les armes (...). Il s'est étendu peu à peu à l'ensemble des secteurs touchés par la décomposition"[29]. Plus tard, la culture institutionnelle elle-même se servira de ce principe de détournement des éléments artistiques ou culturels, à des fins essentiellement publicitaires (ce qui n'empêche pas la pratique subversive du détournement par le mouvement révolutionnaire).

Les mots, le langage écrit, deviennent ainsi les éléments principaux du détournement. Très tôt, Debord s'est inspiré de Lautréamont et de l'utilisation du détournement par celui-ci dans ses Poésies (sur la base de la morale de Pascal et Vauvenargues) et dans les Chants de Maldoror (vaste détournement de Buffon et d'ouvrages d'histoire naturelle, entre autres) ; Lautréamont qui ne cachait pas que selon lui le plagiat était nécessaire, que le progrès l'impliquait : un détournement conscient, séditieux. Le détournement de phrases, après le détournement des lettres, puis des mots, fût une pratique lettriste très employée, reprise et approfondie par les situationnistes.

Dans internationale situationniste #4, Attila Kotanyi développe quelques réflexions sur l'esprit sécuritaire qui ronge la société de haut en bas (les classes supérieures se "protègent" du prolétariat, puis les classes moyennes du sous-prolétariat, et enfin, tout le monde se "protège" des gangs ; des Noirs américains des bas-quartiers aux blousons noirs des métropoles européennes, partout on a peur de ce qui s'apparente à un délinquant). Le pouvoir délimite le domaine du crime et le champ d'action du racket : la délinquance marginale. Face à ce genre de stéréotype grandissant, Kotanyi propose un renouvellement du vocabulaire avec son "Petit Précis de vocabulaire détourné" : au lieu de lire "société", qu'on lise "racket", au lieu d'"organisation sociale" : "protection", au lieu de "culture" : "conditionnement", au lieu d'"éducation" : "préméditation" et qu'au lieu de "loisirs", on lise "crime protégé". Cela pourrait permettre de subvertir nettement la propagande d'Etat, nettement plus efficace (et légale) dans les domaines du crime, du racket et du "danger social". Rendons à César ce qui appartient à César, c'est la société qui nous terrorise, pas l'inverse.

Le projet de Kotanyi est relancé en 1966 par Mustapha Khayati. Selon ce dernier, "toute théorie révolutionnaire a dû inventer ses propres mots, détruire le sens dominant des autres mots et apporter de nouvelles propositions dans "le monde des significations""[30] ; liée à l'idée que lorsque le pouvoir économise l'usage des armes c'est qu'il confie au langage le soin de garder l'ordre opprimant, la démarche de Khayati vise la reconstruction d'une théorie révolutionnaire par la critique du langage dominant et par son détournement.

Tout sens nouveau donné à un mot, à une expression, à un moyen d'expression, à une façon de vivre, étant qualifié de "contresens" par le pouvoir établi, Khayati préconise la légitimité du contresens. Le dictionnaire étant le gardien du sens existant, sa destruction doit être systématique ; la constitution d'un dictionnaire situationniste est envisagée, comme contre-pouvoir non-dogmatique, dans une période donnée et une praxis historique précise.

De Sade aux lettristes, en passant par Lautréamont, Rimbaud, Dada et les surréalistes (ou même Marx et Bakounine), le détournement et le renouveau du langage ont été des remises en question réelles du système : l'insoumission des mots, la preuve historique de l'impossibilité de la "novlangue" du Big Brother d'Orwell. Cette insoumission des mots, réalisation de la poésie, est à deux pas du dépassement de l'art. A deux pas, parce que s'il est effectué au niveau de leur expression et de leur propre personne, le dépassement de l'art n'est pas concrétisé durablement, il n'est pas généralisé socialement. Le système reste le même pour la population.

Le projet de libération réelle du langage dans un dictionnaire situationniste reste intimement lié au refus de toute autorité et à la perspective commune de la révolution sociale et du dépassement de l'art. Le but devient essentiellement de mettre en pratique le langage libéré par tous, au-delà de toute entrave ; seule la praxis peut vérifier sa réussite, celle-ci atteignant des sommets en mai 1968, mais sans basculer définitivement dans cette région libertaire qui échappe au pouvoir, la seule héritière possible.

Quoi qu'il arrive, le langage reste la médiation nécessaire de la prise de conscience du monde de l'aliénation, la peuple aliéné finira tôt ou tard par s'emparer de cet instrument de la théorie radicale : le langage de la vie réelle contre le langage idéologique du pouvoir. Le combat d'un détournement subversif du second contre la récupération totalitaire du premier. Au risque de paraître manichéen, Khayati voit cette opposition nécessaire comme la base même de ce qui libère le langage des mains du pouvoir : "Tout est permis. S'interdire l'emploi d'un mot, c'est renoncer à une arme utilisée par nos adversaires"[31]. De cet engagement pour la liberté du langage, le dictionnaire situationniste vu par Khayati serait une sorte de grille qui décrypterait puis déchirerait le voile idéologique qui recouvre le langage contemporain. Différentes traductions possibles permettraient de comprendre les aspects divers de la société spectaculaire-marchande et la façon dont elle se maintient. Ce dictionnaire serait en quelque sorte bilingue car chaque mot aurait une définition "idéologique" et une définition "subversive".

Debord aborde la question du langage avec la question de la poésie. Sa problématique est toutefois proche de celle de Khayati puisque pour lui, l'antagonisme est clair : "Là où il y a communication, il n'y a pas d'Etat"[32], la poésie, plus qu'un moment révolutionnaire du langage, est le seul moyen de communication réelle. Langage qui reste donc au centre des luttes pour l'abolition ou le maintien de l'aliénation présente, qui est le révélateur d'un tout : l'appropriation du pouvoir établi sur le langage est assimilable à sa mainmise sur la totalité de la société. Si l'Etat perd le langage, il perd le pouvoir. C'est là que se situe la force première de la poésie, mais sa faiblesse est la facilité qu'a le monde de l'aliénation de s'en emparer et de la transformer en contre-poésie du maintien de l'ordre. L'I.S. définit ainsi sa force dans "une poésie nécessairement sans poèmes"[33], une poésie ancrée dans une praxis révolutionnaire véritable. Debord estime que toutes les tentatives révolutionnaires ont pris leur source dans la poésie, et contrairement aux surréalistes, il ne préconise pas une poésie au service de la révolution, mais bien une révolution au service de la poésie.

 

Chapter 2 "L'experimentation d'une pratique artistique à contre-courant"

La pratique révolutionnaire de la poésie, c'est entre autres le détournement actif du langage. René Viénet ne manque pas d'idées pour le réaliser efficacement : plusieurs mois avant l'explosion de 1968, il propose (et exécute) l'expérimentation du détournement des romans-photos, des photos dites pornographiques et de toutes les affiches publicitaires (par l'emploi de phylactères subversifs). S'inspirant des guérilleros argentins qui avaient investi le poste de commande d'un journal lumineux (en plein air) pour y lancer leurs propres messages et slogans, Viénet vante la promotion de la guérilla dans les mass media et le piratage de ces derniers de manière générale (tout en se référant plus à la propagande par le fait des anarchistes qu'à la guérilla urbaine clandestine de différents groupuscules sud-américains). Viénet lance également l'idée de mise au point de comics situationnistes (déjà réalisée à Strasbourg), les bandes dessinées étant à ce moment la forme de "littérature" la plus populaire, et relance l'idée de la réalisation de films situationnistes (ou plutôt d'usage situationniste du cinéma). Ce sont ces deux dernières propositions que nous allons maintenant étudier.

Le détournement de comics (petites bandes dessinées américaines, pour la plupart) par les situationnistes commence en 1964 en Espagne, sous forme de tracts clandestins (il s'agit en l'occurrence de photos érotiques détournées par des bulles aux messages défiant à la fois la censure politique du régime franquiste et la censure morale des curés). La même année, le même style de détournement provocateur est utilisé dans des tracts distribués lors de manifestations diverses au Danemark. C'est à Strasbourg, en octobre 1966, que Le retour de la colonne Durruti, comics par détournement d'André Bertrand, met le feu aux poudres dans l'Université juste avant la distribution du pamphlet situationniste De la misère en milieu étudiant.... Aussi radicale que ce dernier, la bande dessinée strasbourgeoise en cite quelques passages et annonce l'extension de la critique de l'Université à la révolte contre la société tout entière. Constituée de détournements divers et variés, cette bande dessinée forme un tout sans qu'aucune image ou presque (en tant que représentation picturale) n'ait de rapport direct l'une avec l'autre : dessin du cheval de Troie, photos issues de la revue Positif, de scènes de vie quotidienne d'enfants, de western, gravures anciennes et peinture de la Renaissance, une photo de brosses à dents et une de Ravachol, toutes ces illustrations ont des "choses à dire". Le retour de la Colonne Durruti, iconoclaste, offense étudiants et hiérarchie de l'Université de Strasbourg, et pas seulement puisque le tract-B.D. sera distribué par la suite dans plusieurs autres Universités de France.

Si les comics par détournement s'avèrent les plus efficaces et les plus brillants, les situationnistes créent également des comics par réalisation directe, c'est-à-dire que la production d'images n'est plus un détournement mais une création qui accompagne le texte (ainsi en 1967, des textes de Raoul Vaneigem sont illustrés par des dessins d'André Bertrand ou de Gérard Joannes).

En 1968, des dizaines de comics par détournement fleurissent au milieu des tracts politiques, les situationnistes se font connaître et cette pratique du détournement de bandes dessinées est reprise par différents groupes révolutionnaires. Les situationnistes n'hésitent pas à rappeler, dans leurs comics mêmes, que le détournement de bandes dessinées est une nouvelle conception de la praxis révolutionnaire, "une forme prolétarienne de l'expression graphique [qui] réalise le dépassement de l'art bourgeois"[34] prenant parfois les lecteurs à contre-pied en ajoutant (sans pour autant se contredire) que s'ils ne produisent pas eux-mêmes les dessins, c'est qu'ils sont trop feignants...

Un autre domaine est prisé par la pratique du détournement : le cinéma. Dans le "Mode d'emploi du détournement" rédigé par Guy Debord en 1956, on peut lire que le cadre cinématographique est pour lui le domaine par lequel le détournement peut atteindre sa plus grande efficacité et sa plus grande beauté. Le détournement peut être un moyen de revaloriser des films considérés comme des chefs-d'oeuvre, tels la Naissance d'une Nation de Griffith, qui d'une part est exceptionnel du point de vue de la masse des apports nouveaux concernant la construction purement cinématographique, mais qui d'autre part reste un film ouvertement raciste, avec un contenu philosophique totalement déplorable. La solution à ce genre de désagréments est trouvée dans le détournement : modifier à l'extrême la bande-son du film de Griffith dénaturaliserait complètement le propos narratif du film, mais aucunement sa qualité au niveau de la forme. La Naissance d'une Nation devenant une dénonciation sans compromis des horreurs de la guerre impérialiste et des activités du Ku-Klux-Klan, serait un tout autre chef-d'oeuvre... Cette idée, aussi séduisante soit-elle, ne manque pas de rappeler à Debord que "la plupart des films ne méritent que d'être démembrés pour composer d'autres oeuvres"[35]. C'est ce à quoi se sont adonnés les lettristes depuis le Traité de bave et d'éternité d'Isidore Isou : démembrement de la narration, déconstruction du principe iconographique du cinéma, détournement de scènes de films célèbres ou de chutes de reportages inutilisés, tout est bon pour dévaloriser l'image au profit du son, du sens auditif. Le Traité de bave et d'éternité d'Isou, réalisé en 1951 et présenté au festival de Cannes devant des spectateurs hostiles, proclame la fin du cinéma avec son principe "discrépant" de la rupture entre le cinéma et la photo. On n'y voit donc pas grand chose d'intéressant, mais on y entend une sévère critique du monde du cinéma et les poèmes lettristes de François Dufrêne faits d'onomatopées (inspirés aussi bien de Kurt Schwitters que d'Antonin Artaud).

Le début de l'année 1952 voit naître L'Anticoncept de Gil J.Wolman, film sans images alternant le noir complet et le blanc lumineux de la projection dans le vide, la projection du film se fait sur une sorte de lune blanche suspendue devant les rideaux qui ne dévoilent pas la toile traditionnelle. Constitué de courtes réflexions sur la vie, l'amour et l'art, on y entend des poésies sonores devenues célèbres et des textes syncopés faussement chantés. Ici encore, le travail est entièrement basé sur les sonorités. La même démarche est empruntée par François Dufrêne dans ses Tambours du jugement premier.

Toujours en 1952, Guy Debord réalise son premier film, dans l'esprit du mouvement lettriste : Hurlements en faveur de Sade. La destruction devait se poursuivre par un chevauchement de l'image et du son, le film donnant l'impression que la narration est poursuivie par des images (souvent fixes), en rapport plus ou moins proche avec le texte, qui s'accumulent. Mais Debord éliminera finalement toute image de son premier film, suivant le principe de Wolman. L'écran uniformément blanc est entrecoupé à treize reprises par le noir total accompagné du silence. Une quatorzième fois, l'écran reste noir pendant 24 minutes, sur quoi le film se termine. Dépassant la conception isouïenne du cinéma discrépant, le film de Debord se distingue par l'usage de phrases détournées de journaux, du Code Civil, ou encore de romans de James Joyce qui sont mélangés au dialogue. La première représentation du film de Debord choque énormément l'assistance pourtant très "avant-gardiste"; interrompue dans ses premières minutes par le public et les responsables du ciné-club, le film est désavoué par plusieurs lettristes qui le trouvent "excessif" (ce qui ne fera qu'accélérer le processus de séparation du mouvement lettriste).

Dans la période d'existence de l'I.S., Debord réalisera deux autres films : Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps en 1959, et Critique de la séparation en 1961. Ces films marquent un retour à l'image et une extension du détournement à plusieurs paramètres cinématographiques. La négation de l'art et de son monde est toujours vive : "l'unique entreprise intéressante, c'est la libération de la vie quotidienne, pas seulement dans les perspectives de l'histoire mais pour nous et tout de suite. Ceci passe par le dépérissement des formes aliénées de communication. Le cinéma est à détruire aussi"[36] entend-t-on dans la première de ces deux utilisations situationnistes du cinéma. Sur le passage de quelques personnes... inaugure l'idée abandonnée au dernier moment par Debord pour son premier film : la destruction du cinéma par un chevauchement de l'image et du son avec un phrasé déchiré à la fois visuel et sonore, où la photo envahit l'expression verbale. Critique de la séparation étend cette destruction par le dialogue parlé-écrit, dont les phrases s'inscrivent sur l'écran dans le but d'influer sur le monologue qui semble ne jamais vouloir s'arrêter. Ces deux films refusent radicalement, en tant que créations, de se déplacer vers le conditionnement du spectateur. Le détournement y est présent partout, dans les discours parlé, écrit, visuel et musical. On retrouve d'ailleurs cette omniprésence du détournement dans les trois autres productions cinématographiques de Debord (La Société du Spectacle en 1973 qui reprend de nombreux passages de son propre ouvrage du même nom, le court-métrage Réfutation de tous les jugements... en 1975 qui cite quelques-unes unes des nombreuses critiques portées sur le film La Société du Spectacle, puis In girum imus nocte et consumimur igni en 1978 dont les références littéraires et artistiques en tant que détournements directs sont pléthore).

C'est à la fin des années 1960, dans l'élan pris par René Viénet que l'utilisation situationniste du cinéma va s'étendre très nettement dans le détournement massif et direct de navets, de films de kung-fu chinois, de comédies érotiques japonaises, etc. Les films orientaux offrant la possibilité de les conserver en intégralité et en version originale, étant donné le nombre infime de francophones parlant le japonais ou le chinois, la recette est simple : sous-titrer ces films avec des dialogues modifiant radicalement leur sens initial, leur attribuant ainsi un contenu subversif et révolutionnaire plus qu'inattendu. Le détournement a, par cette méthode, une triple fonction : destruction-dévalorisation radicale de l'art, propagande révolutionnaire, et réalisation du jeu et de l'esthétique ludique dans le déconditionnement de l'humour.

Le plus célèbre de ces films est un détournement de film de kung-fu chinois qui devient l'affrontement de deux clans : les prolétaires exploités qui ne jurent que par la praxis révolutionnaire situationniste contre les bureaucrates chinois aux ordres de Mao qui font régner la terreur. Détourné en 1973 par Gérard Cohen et Doo Kwang Gee, ce film, La dialectique peut-elle casser des briques ? n'est pourtant qu'un exemple parmi de nombreux détournements émeutiers de films orientaux, dont René Viénet est l'initiateur. On ne compte plus les détournements subversifs de ce dernier, parmi lesquels on peut citer L'aubergine est farcie et Une soutane n'a pas de braguette, toujours sous le coup de la censure de l'Etat français, ainsi que Mao par lui-même, Chinois, encore un effort pour être révolutionnaires (titre-référence à Sade, bien sûr), Du sang chez les taoïstes ou encore Dialogue entre un maton CFDT et un gardien de prison affilié au syndicat CGT du personnel pénitentiaire.

Par ces utilisations déplacées et déformantes d'une grande partie de la production artistique aliénée, les situationnistes démontrent que "le détournement est le seul usage révolutionnaire des valeurs spirituelles et matérielles distribuées par la société de consommation"[37]. Activé par une sorte de rêverie subjective qui s'approprie le monde, le détournement se manifeste au sens large comme une énorme remise en jeu (pas seulement d'un film, d'un journal ou d'une pratique artistique, mais d'une "philosophie" et d'un système devenus obsolètes).

Dans son livre La Société du Spectacle, Debord note un premier détournement de langage chez Feuerbach puis chez Marx dans le renversement du sujet par le prédicat, style insurrectionnel très utilisé par les situationnistes (Marx tirait, par exemple, la misère de la philosophie, de la philosophie de la misère ; les situationnistes, eux, veulent participer à la fin du monde du spectacle et non au spectacle de la fin du monde...). Si Lautréamont disait que le plagiat était nécessaire, force est de constater que le pouvoir établi, où qu'il soit, a pratiqué abondamment le détournement par simple citation et récupération d'idées qui sont ainsi figées dans l'idéologie dominante. L'exemple le plus parfait est la récupération du "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" de Marx par les idéologies stalinienne et maoïste ; citée en guise d'autorité théorique, la phrase de Marx est falsifiée du seul fait qu'elle est devenue citation. On ne peut parler ici de "détournement" au sens situationniste du terme, l'I.S. considérant le détournement comme le langage fluide de l'anti-idéologie, langage qui affirme qu'aucun signe poétique n'est jamais accaparé définitivement par l'idéologie. La phrase "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" avait pour but une société sans classes, contre la bureaucratie stalinienne et l'idéologie du travail, elle peut se détourner en "Prolétaires de tous les pays, reposez-vous !". Tactique du renversement de perspective, le détournement bouleverse le cadre immuable du vieux monde (bouleversement dans lequel la poésie faite par tous prend son véritable sens) et s'affirme comme le contraire de la citation et de la récupération idéologique, dans la critique présente contre toute vérité éternelle.

E - De la révolution de l'art à l'art de la révolution

Dans la perspective du dépassement de l'art, l'I.S. élabore une position critique, théorique et pratique, qui montre que la suppression et la réalisation de l'art sont les aspects inséparables de ce dépassement. Sa recherche d'un art intégral mène l'I.S. à une poésie de la vie quotidienne, une poésie sans poèmes qui devient vite le noyau central de la critique situationniste. Mais cette nécessité d'un bouleversement de la vie quotidienne, à entreprendre hic et nunc, ne satisfait pas complètement les situationnistes, qui amplifient dès lors leur critique vers l'analyse et la contestation du système capitaliste moderne dans sa totalité.

En effet, si l'art et la philosophie constituent des questionnements qui peuvent aboutir à une remise en question du quotidien, celui-ci ne peut être modifié de manière satisfaisante sans un bouleversement complet du vieux-monde. C'est le passage, pour l'I.S., de la révolution de l'art vers l'art de la révolution.

C'est la constatation lucide d'une liberté quasi-inexistante, voire difficile à imaginer dans l'oppression existante, qui va pousser l'I.S. à apporter la contestation dans chaque discipline. Empreinte de dadaïsme, de surréalisme et de lettrisme, la critique situationniste n'a jamais caché non plus ses penchants vers ce qu'il y a de plus radical chez Marx et dans l'anarchisme ; dans sa critique de la société spectaculaire-marchande, l'I.S. peut reprendre la phrase d'André Breton : "au-dessus de l'art, de la poésie, qu'on le veuille ou non, bat aussi un drapeau tour à tour rouge et noir"[38].

 

Footnotes

[1] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (Paris, U.G.E., 1958), p.258

[2] Internationale lettriste #2, in Documents relatifs à la fondation de l'Internationale situationniste, 1948-1957, op. cit., p.154

[3] Internationale situationniste #6, op. cit., p.39

[4] Guy Debord, Oeuvres cinématographiques, 1952-1978 (Paris, Gallimard, 1994), p.18

[5] Debord, ibid, p.12

[6] Ibid, p.13

[7] Internationale situationniste #1, op. cit., p.13

[8] Ibid, p.12

[9] Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre..., op. cit., p.119

[10] Potlatch #20, 30 mai 1955, in Guy Debord présente POTLATCH 1954-1957, op. cit., p.155

[11] Internationale situationniste #1, op. cit., p.29

[12] Internationale situationniste #2, op. cit., p.29

[13] Internationale situationniste #1, op. cit., p.13

[14] Ibid

[15] Potlatch #23, 13 octobre 1955, in Guy Debord présente POTLATCH 1954-1957, op. cit., p.205

[16] Guy Debord, La Société du Spectacle, op. cit., p.172

[17] Internationale situationniste #1, op. cit., p.18

[18] Internationale situationniste #3, op. cit., p.26

[19] Internationale situationniste #6, op. cit., p.17

[20] Ibid, p.18

[21] Internationale situationniste #1, op. cit., p.13

[22] Internationale situationniste #3, op. cit., p.14

[23] Internationale situationniste #2, op. cit., p.24

[24] Asger Jorn, Peinture détournée, in M.N.A.M. Sur le passage de quelques personnes... (Paris, éd. du Centre Pompidou, 1989), p.7

[25] Jorn, ibid, p.8

[26] Fin de Copenhague, in Documents relatifs à la fondation de l'Internationale situationniste, 1948-1957, op. cit., pp.553-592

[27] Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre..., op. cit., p.345

[28] Internationale situationniste #1, op. cit., p.13

[29] Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre..., op. cit., p.344

[30] Internationale situationniste #10, Paris, mars 1966, p.50

[31] Ibid, p.55

[32] Internationale situationniste #8, op. cit., p.30

[33] Ibid, p.31

[34] René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations (Paris, Gallimard, 1968), p.178

[35] Les Lèvres nues #8, mai 1956, in Documents relatifs à la fondation de l'Internationale situationniste, 1948-1957, op. cit., p.307

[36] Guy Debord, Oeuvres cinématographiques, 1952-1978, op. cit., p.35

[37] Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre..., op. cit., p.332

[38] André Breton, Arcane 17 (Paris, éd. J-J. Pauvert, 1971), p.19

 

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