Author U.N.E.F. Strasbourg Part 3 Go to part 1/2 Published in Pamphlet 1966 Also by U.N.E.F. Strasbourg: |
PamphletDe la misère en milieu étudiant: |
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La société dominante, qui se flatte de sa modernisation permanente, doit maintenant trouver à qui parler, c'est à dire à la négation modernisée qu'elle produit elle-même : "Laissons maintenant aux morts le soin d'enterrer leurs morts et de les pleurer." Les démystifications pratiques du mouvement historique débarassent la conscience révolutionnaire des fantômes qui la hantaient ; la révolution de la vie quotidienne se trouve face à face avec les tâches immenses qu'elle doit accomplir. La révolution, comme la vie qu'elle annonce, est à réinventer. Si le projet révolutionnaire reste fondamentalement le même : l'abolition de la société de classes, c'est que, nulle part, les conditions dans lesquelles il se forme n'ont été radicalement transformées. Il s'agit de le reprendre avec un radicalisme et une cohérence accrus par l'expérience de la faillite de ses anciens porteurs, afin d'éviter que sa réalisation fragmentaire n'entraîne une nouvelle division de la société. La lutte entre le pouvoir et le nouveau prolétariat ne pouvant se faire que sur la totalité , le futur mouvement révolutionnaire doit abolir, en son sein, tout ce qui tend à reproduire les produits aliénés du système marchand : il doit en être, en même temps, la critique vivante et la négation qui porte en elle tous les éléments du dépassement possible. Comme l'a bien vu Lukács (mais pour l'appliquer à un objet qui n'en était pas digne : le parti bolchevik), l'organisation révolutionnaire est cette médiation nécessaire entre la théorie et la pratique, entre l'homme et l'histoire, entre la masse des travailleurs et le prolétariat constitué en classe . Les tendances et divergences "théoriques" doivent immédiatement se transformer en question d'organisation si elles veulent montrer la voie de leur réalisation. La question de l'organisation sera le jugement dernier du nouveau mouvement révolutionnaire, le tribunal devant lequel sera jugée la cohérence de son projet essentiel : la réalisation internationale du pouvoir absolu des Conseils Ouvriers , tel qu'il a été esquissé par l'expérience des révolutions prolétariennes de ce siècle. Une telle organisation doit mettre en avant la critique radicale de tout ce qui fonde la société qu'elle combat, à savoir : la production marchande, l'idéologie sous tous ses déguisements, l'Etat et les scissions qu'il impose. La scission entre théorie et pratique a été le roc contre lequel a buté le vieux mouvement révolutionnaire. Seuls, les plus hauts moments des luttes prolétariennes ont dépassé cette scission pour retrouver leur vérité. Aucune organisation n'a encore sauté ce Rhodus. L'idéologie, si "révolutionnaire" qu'elle puisse être, est toujours au service des maîtres, le signal d'alarme qui désigne l'ennemi déguisé. C'est pourquoi la critique de l'idéologie doit être, en dernière analyse, le problème central de l'organisation révolutionnaire. Seul, le monde aliéné produit le mensonge, et celui-ci ne saurait réapparaître à l'intérieur de ce qui prétend porter la vérité sociale, sans que cette organisation ne se transforme elle-même en un mensonge de plus dans un monde fondamentalement mensonger. L'organisation révolutionnaire qui projette de réaliser le pouvoir absolu des Conseils Ouvriers doit être le milieu où s'esquissent tous les aspects positifs de ce pouvoir. Aussi doit-elle mener une lutte à mort contre la théorie léniniste de l'organisation. La révolution de 1905 et l'organisation spontanée des travailleurs russes en Soviets était déjà une critique en actes de cette théorie néfaste. Mais le mouvement bolchevik persistait à croire que la spontanéité ouvrière ne pouvait dépasser la conscience "trade-unioniste". Ce qui revenait à décapiter le prolétariat pour permettre au parti de prendre la "tête" de la Révolution. On ne peut contester, aussi impitoyablement que l'a fait Lénine, la capacité historique du prolétariat de s'émanciper par lui-même, sans contester sa capacité de gérer totalement la société future. Dans une telle perspective, le slogan "tout le pouvoir aux Soviets" ne signifiait rien d'autre que la conquête des Soviets par le Parti, l'instauration de l'Etat du parti à la place de "l'Etat" dépérissant du prolétariat en armes. C'est pourtant ce slogan qu'il faut reprendre radicalement et en le débarrassant des arrière-pensées bolcheviques. Le prolétariat ne peut s'adonner au jeu de la révolution que pour gagner tout un monde, autrement il n'est rien. La forme unique de son pouvoir, l'autogestion généralisée, ne peut être partagée avec aucune autre force. Parce qu'il est la dissolution effective de tous les pouvoirs, il ne saurait tolérer aucune limitation (géographique ou autre) ; les compromis qu'il accepte se transforment immédiatement en compromissions, en démission. "L'autogestion doit être à la fois le moyen et la fin de la lutte actuelle. Elle est non seulement l'enjeu de la lutte, mais sa forme adéquate. Elle est pour elle-même la matière qu'elle travaille et sa propre présupposition". La critique unitaire du monde est la garantie de la cohérence et de la vérité de l'organisation révolutionnaire. Tolérer l'existence des systèmes d'oppression (parce qu'ils portent la défroque "révolutionnaire", par exemple), dans un point du monde, c'est reconnaître la légitimité de l'oppression. De même, si elle tolèrev l'aliénation dans un domaine de la vie sociale, elle reconnaît la fatalité de toutes les réifications. Il ne suffit pas d'être pour le pouvoir abstrait des Conseils Ouvriers, mais il faut en montrer la signification concrète : la suppression de la production marchande et donc du prolétariat. La logique de la marchandise est la rationalité première et ultime des sociétés actuelles, elle est la base de l'autorégulation totalitaire de ces sociétés comparables à des puzzles dont les pièces, si dissemblables en apparence, sont en fait équivalentes. La réification marchande est l'obstacle essentiel à une émancipation totale, à la construction libre de la vie. Dans le monde de la production marchande, la praxis ne se poursuit pas en fonction d'une fin déterminée de façon autonome, mais sous les directives de puissances extérieures. Et si les lois économiques semblent devenir des lois naturelles d'une espèce particulière, c'est que leur puissance repose uniquement sur "l'absence de conscience de ceux qui y ont part". Le principe de la production marchande, c'est la perte de soi dans la création chaotique et inconsciente d'un monde qui échappe totalement à ses créateurs. Le noyau radicalement révolutionnaire de l'autogestion généralisée, c'est, au contraire, la direction consciente par tous de l'ensemble de la vie. L'autogestion de l'aliénation marchande ne ferait de tous les hommes que les programmateurs de leur propre survie : c'est la quadrature du cercle. La tâche des Conseils Ouvriers ne sera donc pas l'autogestion du monde existant, mais sa transformation qualitative ininterrompue : le dépassement concret de la marchandise (en tant que gigantesque détour de la production de l'homme par lui-même). Ce dépassement implique naturellement la suppression du travail et son remplacement par un nouveau type d'activité libre, donc l'abolition d'une des scissions fondamentales de la société moderne, entre un travail de plus en plus réifié et des loisirs consommés passivement. Des groupuscules aujourd'hui en liquéfaction comme S. ou B. ou P.O., pourtant ralliés sur le mot d'ordre moderne du Pouvoir Ouvrier, continuent à suivre, sur ce point central, le vieux mouvement ouvrier sur la voie du réformisme du travail et de son "humanisation". C'est au travail lui-même qu'il faut s'en prendre. Loin d 'être une "utopie", sa suppression est la condition première du dépassement effectif de la société marchande, de l'abolition -dans la vie quotidienne de chacun- de la séparation entre le "temps libre" et le "temps de travail", secteurs complémentaires d'une vie aliénée, où se projette indéfiniment la contradiction interne de la marchandise entre valeur d'usage et valeur d'échange. Et c'est seulement au-delà de cette opposition que les hommes pourront faire de leur activité vitale un objet de leur volonté et de leur conscience, et se contempler eux-mêmes dans un monde qu'ils ont eux-mêmes créé. La démocratie des Conseils Ouvriers est l'énigme résolue de toutes les scissions actuelles. Elle rend "impossible tout ce qui existe en dehors des individus". La domination consciente de l'histoire par les hommes qui la font, voilà tout le projet révolutionnaire. L'histoire moderne, comme toute l'histoire passée, est le produit de la praxis sociale, le résultat -inconscient- de toutes les activités humaines. A l'époque de sa domination totalitaire, le capitalisme a produit sa nouvelle religion : le spectacle. Le spectacle est la réalisation terrestre de l'idéologie. Jamais le monde n'a si bien marché sur la tête. "Et comme la critique de la religion, la critique du spectacle est aujourd'hui la condition première de toute critique". C'est que le problème de la révolution est historiquement posé à l'humanité. L'accumulation de plus en plus grandiose des moyens matériels et techniques n'a d'égale que l'insatisfaction de plus en plus profonde de tous. La bourgeoisie et son héritière à l'Est, la bureaucratie, ne peuvent avoir le mode d'emploi de ce surdéveloppement qui sera la base de la poésie de l'avenir, justement parce qu'elles travaillent, toutes les deux, au maintien d'un ordre ancien. Elles ont tout au plus le secret de son usage policier. Elles ne font qu'accumuler le Capital et donc le prolétariat ; est prolétaire celui qui n'a aucun pouvoir sur l'emploi de sa vie, et qui le sait. La chance historique du nouveau prolétariat est d'être le seul héritier conséquent de la richesse sans valeur du monde bourgeois, à transformer et à dépasser dans le sens de l'homme total poursuivant l'appropriation totale de la nature et de sa propre nature. Cette réalisation de la nature de l'homme ne peut avoir de sens que par la satisfaction sans bornes et la multiplication infinie des désirs réels que le spectacle refoule dans les zones lointaines de l'inconscient révolutionnaire, et qu'il n'est capable de réaliser que fantastiquement dans le délire onirique de sa publicité. C'est que la réalisation effective des désirs réels, c'est-à-dire l'abolition de tous les pseudo-besoins et désirs que le système crée quotidiennement pour perpétuer son pouvoir, ne peut se faire sans la suppression du spectacle marchand et son dépassement positif. L'histoire moderne ne peut être libérée, et ses acquisitions innombrables librement utilisées, que par les forces qu'elle refoule : les travailleurs sans pouvoir sur les conditions, le sens et le produit de leurs activités. Comme le prolétariat était déjà, au XIXº siècle , l'héritier de la philosophie, il est en plus devenu l'héritier de l'art moderne et de la première critique consciente de la vie quotidienne. Il ne peut se supprimer sans réaliser, en même temps, l'art et la philosophie. Transformer le monde et changer la vie sont pour lui une seule et même chose, les mots d'ordre inséparables qui accompagneront sa suppression en tant que classe, la dissolution de la société présente en tant que règne de la nécessité, et l'accession enfin possible au règne de la liberté. La critique radicale et la reconstruction libre de toutes les conduites et valeurs imposées par la réalité aliénée sont son programme maximum, et la créativité libérée dans la construction de tous les moments et événements de la vie est la seule poésie qu'il pourra reconnaître, la poésie faite par tous, le commencement de la fête révolutionnaire. Les révolutions prolétariennes seront des fêtes ou ne seront pas, car la vie qu'elles annoncent sera elle-même créée sous le signe de la fête. Le jeu est la rationalité ultime de cette fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles qu'il pourra reconnaître.
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